le Jeu de Peindre

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En 1946, un jeune homme nommé Arno Stern est employé par une institution pour orphelins de guerre.  Sa mission consiste à occuper les enfants et les moyens sont réduits en cette période de l’histoire. Il fait peindre les enfants, et comprend immédiatement le rôle primordial du jeu qu’il provoque.

 

La naissance du Closlieu

En 1950, après avoir quitté la maison d’enfants, il ouvre un atelier à Paris, l’Académie du Jeudi, qui prendra le nom de Closlieu en 1986.
C’est un espace sans regard sur l’extérieur, dont le climat est permanent1. L’activité, dans le Closlieu, se joue entre la Table-Palette, qui est au centre, et les quatre murs dont la fonction pratique est de recevoir les feuilles2.

 

La découverte de la Formulation

Arno Stern découvre, au fil des séances, la présence de phénomènes récurrents. Les tableaux sont caractérisés par des tracés et une évolution qui se répètent chez tous les individus. Ainsi, à travers la trace libérée de sa fonction de communication, s’exprime une nécessité profonde, ce qu’Arno Stern nomme l’ “Expression”.
Emporté par l’enthousiasme des ses découvertes, il vit ensuite au contact de milliers de documents et inventorie ce qu’il appelle d’abord “les lois grammaticales du langage plastique”, puis plus tard “la Formulation”.

La Formulation s’est révélée à moi dans le Closlieu. J’étais le témoin quotidien de sa manifestation, et ses phénomènes caractéristiques s’offraient à moi, sans que j’aie à les chercher3.

Poursuivant ses observations, il s’aperçoit également que la Formulation concerne tous les âges. Mon travail avait commencé avec des enfants. Je croyais que la faculté de jouer avec la trace leur appartenait, comme un privilège sur l’adulte. (…) Je sais maintenant qu’elle n’est pas réservée à l’enfance4.

 

Les voyages

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A partir de 1967, il décide de vérifier l’universalité réelle de ce langage. Il franchit les limites géographiques du Closlieu et part à la recherche de populations non scolarisées.
Il va dans les déserts, la forêt vierge, la brousse, les hauteurs presque inaccessibles, il emporte dans une grosse valise métallique le matériel nécessaire (stylos et pinceaux) et fait dessiner enfants et adultes qu’il rencontre. Il constate alors que les figures qui composent la Formulation sont les mêmes, quel que soit l’environnement de la personne qui les trace5.

 

Les conséquences de sa découverte

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Au contact quotidien du Jeu de Peindre et de la Formulation, Arno Stern mesure la véracité de ce qu’il a pressenti depuis le début:
Je sais que des relations exemptes d’esprit de compétition peuvent exister, je sais qu’on peut se réaliser sans se mesurer à d’autres, ni avoir de modèle. Je sais qu’une activité structurée, engageant des facultés naturelles, éliminant toute préoccupation de progrès… produit une évolution, agit sur l’esprit et les sens, rend assuré, donne des habitudes d’effort et de soin. Je n’imagine pas, en utopiste, une société basée sur cet autre équilibre; j’en vois la préfiguration (on peut dire: l’échantillon) à l’atelier6.

 

Conscient de l’enjeu que représente ce qui se passe entre les murs de l’atelier, il en assume les conséquences :
Lorsque j’oppose la créativité à la consommation et que je prépare des enfants à vivre dans une autre relation que celle basée sur la compétition et la réussite codifiée, je ne fais pas de la politique mais je contribue à créer un courant qui transformera les moeurs de la société7.

 

Aujourd’hui

Aujourd’hui encore, Arno Stern exerce son rôle de Servant du Jeu de Peindre dans le Closlieu. Il consacre également une partie importante de son temps à expliquer, à travers des conférences, la formation qu’il propose et ses livres, cet indicible processus par lequel la main dépose sur une feuille de papier la trace d’impulsions ayant leur origine dans le tréfonds de l’organisme8.

 

Je ne me sens pas seul, comme un sage retiré du monde. Ni mon activité éducative, ni ma découverte du langage mystérieux de l’expression ne m’éloignent des autres. Bien au contraire; croire en ce qui est humain, c’est se sentir relié aux hommes, c’est travailler dans une société pour une autre société9.

 

Pour en savoir plus: le site d’Arno Stern.

 

  1. Arno Stern, Le Jeu de Peindre, Actes Sud, 2011, p.19. []
  2. Ibid., p. 31. []
  3. Ibid., p. 121. []
  4. Ibid., p. 52. []
  5. Ibid., p. 95. []
  6. Arno Stern, Le monde des autres, Delachaux & Niestlé, 1974, p.194. []
  7. Ibid., p. 100. []
  8. Ibid., p. 17. []
  9. Ibid., p. 101. []

Toulouse (France)